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La Mer lave sur la pierre nos yeux brûlants de Sel
Pour sa nouvelle exposition personnelle à la galerie Ramand, Fabien Granet explore à travers une trentaine de dessins et quatre vidéos une vision plurielle et mouvante du paysage. Entre archives souvenirs et réinterprétations poétiques, les dessins, parfois composés de plusieurs vues, confrontent différentes temporalités et lieux. Cette juxtaposition ouvre un dialogue visuel invitant à interroger notre relation au paysage que l’on regarde.
Les vidéos viennent enrichir cette approche en introduisant une nouvelle dimension temporelle, complémentant les dessins sur papier par un regard cinématographique et dynamique sur les paysages, accentuant ainsi la diversité des perceptions. Cette exposition est un espace de réflexion où Fabien Granet déconstruit les notions d’espace et de temps, et nous invite à redécouvrir le paysage sous un regard nouveau.
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Voir la mer, ce n’est pas seulement se tenir sur une rive mais bien assister à un spectacle. Dans son ouvrage Le Territoire du vide, Alain Corbin rappelle qu’au XVIIIème encore voir la mer sous-entendait que l’on avait vu la mer déchaînée, secouée par une tempête ou le vent. Sans le vent, il semble qu’on ne voit rien. Le mouvement dans les voiles et sur les eaux permet de voir un paysage en puissance. C’est-à-dire et non seulement la construction d’un cadre qui permet de voir la “nature” mais aussi un événement qui l’anime. En allant sur le motif et en laissant entrer sur sa feuille les gouttes de pluie et l’air des embruns, Fabien Granet revivifiait avec sa vidéo Grand Erre la longue histoire du dessin d’observation. Il s’agissait de faire rentrer dans l’image, avec une technique d’animation déplacée en plein air, d’autres sensations. Gris Parage et Scapeland ont recours par moment au même dispositif avec l’ajout de passages vidéos dans une nappe de sons ambiants qui unifie l’expérience : celles d’un paysage, d’un visage qui se présente et se refuse à nous par un arrachement au temps. Les titres de l’artiste tournent autour de l’instant, d’un ici et maintenant qu’on ne peut saisir que dans les parages, les abords, les contours. La vidéo Ici qui se boucle sur elle-même dans un mouvement de marée qui ne dégage jamais de passage figure un rivage qui semble être celui de l’île des morts. Si certains de ses dessins peuvent, par leur réalisme, rappeler la photographie c’est plutôt pour installer un suspens. Nous sommes de l’autre côté. L’artiste recourt ainsi à la réserve et l’expérience du présent qu’il propose dans ses Point de voir, Point de chute, au centre des choses qui tombent semble contenu dans un hors-champ …
A l’atelier, Fabien Granet compose ses dessins au travers de juxtapositions et travaille la grammaire de la séquence. L’alignement des pierres de Lagatjar devient ainsi alignement d’images et la structure du dessin entraîne le regard dans un mouvement cinétique en dépit de l’immobilité même du sujet. Des bandes horizontales bleues dans la série Abord(s) surlignent des transitions, des passages dans l’image. La multiplication des points de vue sur La Petite Grève à différentes heures du jour et de la nuit – que ce soit dans les vidéos ou les fusains et aquarelles – manifeste une mise en jeu de la répétition. Thèmes et variations autour des mouvements littoraux, des marées et moments météo. Le regard phénoménologique fait de la rencontre avec le paysage, fût-ce au travers d’un mirage, fata morgana, un évènement. Il s’agit de dégager les conditions du voir. La frontalité, le travail de la géométrie a longtemps servi de cadre et continue de structurer le travail du dessin, que l’on regarde Au jusant, la Cale et l’Aber qui dessinent littéralement des points de repères dans l’exposition. Pour prendre la mesure du mouvement, il faut des points fixes et Fabien Granet sait manier les contrastes, imposer une géométrie à même de changer les habitudes. Il faut presque tromper l’œil pour qu’il puisse continuer de voir au-delà de ce qu’il sait, imaginer tout ce qui bruisse lorsque la mer est pleine.
Henri Guette, critique d’art membre de l’AICA – 06.2025
— Exposition dans le cadre de la saison du dessin initiée par Paréidolie